Ludovic Bernhardt

Inversion, 2014

 

Novel written in 2014. Story of a contemporary artist working in the megalopolis of Istanbul and Dubai and concerned by the mysterious disapearence of a female Turkish artist. Rootless, wanderings and creative crisis in a global city and global art context.

INVERSION is published by Gravitons éditions.

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Extrait de Inversion :

 

" En sortant de la galerie Xerox, Moh fit un détour vers l’espace d’art contemporain Krag sanat fondé par la deuxième plus grande banque de Turquie, afin de se tenir au courant de la dernière expo dont tout le monde parlait. Il entra dans un grand hall séparé de la rue par une vitrine étincelante ; dans cet espace était installées de hautes parois entièrement recouvertes de miroirs, dessinant une sorte d’architecture dans l’architecture, un mini labyrinthe réfléchissant où trois ou quatre visiteurs faisaient semblant de se perdre à la recherche d’une signification artistique. Moh se glissa dans un des couloirs bardés de miroir et circula lentement entre son image, le reflet des autres visiteurs et les trois gardiens immobiles qui encadraient l’œuvre. Au détour d’un virage à quatre-vingt-dix degré dans les méandres simplistes de l’installation, il croisa du regard un visage, ou plutôt le reflet d’un visage qu’il semblait connaître. À peine eut-il le temps d’intercepter cette image que le visage disparut derrière les miroitements volumétriques de l’œuvre. Moh regarda sa montre et prit le temps de sortir du pseudo labyrinthe afin de retrouver cette image et de lui apposer un vrai visage. Il passa le long d’une grande peinture hyperréaliste représentant des morceaux de viande rouge, gravit les dix marches d’un escalier suspendu qui donnait sur un étage intermédiaire afin de s’engager dans une cage d’escalier hélicoïdale recouverte de marbre blanc. Il suivit la signalétique de l’exposition et s’engagea dans la salle vide et obscure du premier étage : une série d’écrans vidéos suspendus entravait la circulation, Moh du donc contourner ces plans verticaux et chercher sa route par un jeu de méandres alambiqués qui lui faisaient endosser une identité spectrale et désincarnée. Il regardait autour de lui les quelques silhouettes atomisées de visiteurs qui stagnaient entre les surfaces animées par les vidéos projections HD et essayait de reconnaître hasardeusement le visage entraperçu au rez-de-chaussée. Un air froid, presque glaçant était généré par une climatisation puissante ; Moh n’eut pas la moindre envie de rester dans ces espaces frigorifiés. Il abandonna sa recherche impulsive et se dirigea vers un ascenseur situé à la sortie de l’espace d’exposition de l’étage. Il appuya sur le bouton marqué d’une flèche lumineuse verte et attendit l’ouverture des portes. Il entendit un appel à la prière lointain retentir dans les cieux d’Istanbul ; des voix incarnées, crachées par des speakers mono qui avaient réussies à traverser les murs de Krag sanat. Moh, installé dans l’ascenseur, appuya sur le bouton sortie ; il descendit donc un étage puis traversa les portes qui s’ouvraient devant lui d’un pas décidé. Il tomba alors nez à nez avec une peinture acrylique aux couleurs saturées représentant KV, une des personnalités majeures du monde de l’art contemporain turc, à la fois directeur de musée financé par une banque, commissaire d’exposition et critique renommé. Le portrait, au style graphique schématique proche du pop art globalisé montrait l’individu à la fois débonnaire et distant, cool et antipathique, revêtu d’une chemise orange, la cravate sombre tombant verticalement, les yeux cachés par des lunettes noires de type Ray Ban et tenant dans sa main droite une petite bouteille de jus Çamlıca, breuvage chimico-gazeux. Moh fit un petit signe discret à l’image en guise de « bonjour - au revoir » puis fila droit vers la sortie principale de la galerie. Comme tous les soirs la rue Istiklal était saturée de monde ; la foule sortie pour goûter à l’ambiance nocturne du Istanbul shopping festival s’agglutinait et s’entremêlait en consommant des glaces, gaufres ou kebab. Les yeux des badauds embrassaient des vitrines lumineuses emplies de victuailles dégoulinantes de sucre liquide. Des clubs balançaient du son électronique polluant jusque dans la rue afin d’attirer la jeunesse turque dans leur antre généralement dépeuplé. "

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